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L’Europe à la croisée des chemins ?

Incertitudes autour du Brexit, débats franco-allemands, montée des populismes, élections européennes… : quels scénarios imaginer pour l’avenir de l’Union européenne ? Le 12 mars dernier, un débat HEC-Viavoice a été l’occasion de recueillir l’avis d’Alberto Alemanno, professeur à HEC Paris, titulaire de la chaire Jean-Monnet en droit européen.

HEC Paris - © Aurelia Blanc

« C’était à la mode d’être pro-européen autrefois, on a parfois l’impression aujourd’hui que ce n’est plus le cas » : interrogé par François Miquet-Marty, président de Viavoice, sur la possibilité de garder une conviction européenne, Alberto Alemanno a d’abord tenu à souligner le caractère très particulier du contexte actuel. Un espace Schengen qui n’existe plus de facto, un Etat majeur (le Royaume-Uni) en passe de quitter l’Union, des gouvernements d’ultra-droite en Europe de l’Est ainsi qu’en Italie et bientôt en Espagne, des débats de fond engagés entre la France et l’Allemagne… : les symptômes sont nombreux pour nous faire comprendre que nous abordons une nouvelle phase de la construction européenne.

Des élections européennes « sans précédent »

Tous les cinq ans, les élections au Parlement européen constituent un moment de démocratie nationale et non pas européenne, car elles sont organisées dans les différents Etats membres de l’Union, souvent à des dates différentes.  Or, celles de 2019 seront « sans précédent » à en croire Alberto Alemanno, qui souligne « la polarisation nouvelle » entre pro-européens et eurosceptiques, et plus globalement une prise de conscience de l’impact de l’Europe sur nos vies. Il a néanmoins tenu à rappeler que ces élections dites « européennes » se font encore aujourd’hui dans les pays de l’UE sur la base de listes nationales, et par conséquent élaborées par les partis politiques nationaux. « En ce sens l’Europe politique n’existe pas encore, » insiste le spécialiste en droit européen.

Comme le montre le rôle de bouc émissaire permanent souvent attribué à l’UE dans les débats politiques nationaux, les élections européennes sont encore fréquemment une simple addition de situations nationales. Des coïncidences de calendrier illustrent cruellement cette asymétrie dans certains pays : en Espagne par exemple, des élections vont opposer le 28 avril prochain une coalition de gauche à une coalition allant du centre-droit à l’extrême-droite, qui inclut le parti Ciudadanos. Ce même parti, poursuit Alberto Alemanno, qui participera ensuite aux élections européennes le 26 mai prochain en alliance avec le parti du Président français Emmanuel Macron, et appellera probablement à battre les populistes européens…

Selon le fondateur de The Good Lobby, l’Europe ne vient pas d’en haut, mais vient du bas, et ne remplace pas les Etats-nations, car chacun d’entre nous a des identités multiples. La plupart des défis d’aujourd’hui exigent pourtant des réponses à l’échelle européenne.  Mais, ajoute-il, le système politique des pays européens n’a hélas pas encore suivi l’européanisation de la société, créant un décalage de plus en plus évident. C’est pourquoi tous les pays, et chaque famille politique, de gauche comme de droite, intègrent des forces politiques sceptiques vis-à-vis de la construction européenne.

Quelle majorité après les élections européennes ?

Pour Alberto Alemanno, la recomposition en cours du système politique est si profonde dans l’ensemble des pays européens qu’on peut prévoir un maintien difficile au pouvoir après le scrutin du 26 mai de la majorité qui rassemble jusqu’à aujourd’hui le Parti populaire européen (PPE) et le Parti socialiste européen (PSE). On trouve de nombreuses causes à cette situation, mais selon Alberto Alemanno, elle est notamment due au manque d’idées, au « désert intellectuel » que constitue le débat européen aujourd’hui. Tout parti national est finalement censé se positionner à l’échelle européenne : c’est plutôt l’absence de tout projet européen (et de tout leader à dimension véritablement européenne) que l’on constate au sein de toutes les grandes familles politiques européennes. 

Une élite européenne ?

3,4% de la population européenne vit ailleurs en Europe : est-ce pour autant une élite ? Alberto Alemanno a analysé la composition sociologique de ces « migrants européens », et cette affirmation souvent relayée s’avère erronée. Si cette partie de la population européenne (17 à 18 millions de personnes environ) est légèrement plus éduquée que la moyenne des habitants de l’Union, son profil global est identique à celui des Européens moyens. Il s’agit peut-être d’un groupe ou d’une classe sociale d’un nouveau type, mais en aucun cas d’une élite, ni même d’une fraction militante pro-européenne : d’ailleurs seuls 8% d’entre eux sont inscrits sur les listes électorales dans leur pays d’accueil, dont 4% seulement sont allés voter aux précédentes élections européennes de 2009 et 2014. Tout se passe comme si les plus mobiles, les plus « européens » a priori, étaient donc les moins représentés politiquement.

Cependant l’Europe est non seulement un espace géopolitique, mais aussi un espace mental, comme le montre le succès du programme Erasmus, qui a permis à des millions de jeunes Européens de découvrir les autres pays de leur continent, ainsi que les bien plus nombreux échanges de travailleurs et de chercheurs d’emploi au sein du continent. « Selon le droit européen, il faut se déplacer », rappelle Alberto Alemanno, mais en réalité autour de 50% des citoyens du continent sont exposés à l’Europe en raison de facteurs personnels (liens familiaux, amis, échanges culturels, …). Cela veut aussi dire que l’autre moitié des citoyens européens n’a pas de contact avec la dimension européenne, ce qui explique sans doute en partie la situation politique actuelle. L’Europe est pourtant une source considérable d’opportunités : 28 pays, c’est 28 fois plus de chances d’avoir accès à une nouvelle culture, à un nouveau marché, à des citoyens à la fois différents et si proches de nous.

Et si des propositions inédites se retrouvaient dans de nouveaux projets ? Pour Alberto Alemanno, notre ère sera dominée par une bataille de visions de la société, en dehors des sentiers battus : « Les idées nouvelles ne viennent pas aujourd’hui du centre de l’échiquier européen. Par exemple, le plan de Yanis Varoufakis – si on peut en discuter la faisabilité – n’en est pas moins original, avec une vraie vision d’ensemble, ou encore les propositions du mouvement véritablement transnational Volt. Il faut que les différents partis pro-européens développent une vision partagée de l’avenir, s’ils ne veulent pas laisser un boulevard aux idées eurosceptiques en se limitant comme l’Allemagne a la défense du statu quo » conclut Alberto Alemanno.